Après huit mois de sabotage écologique : Lecornu peut-il vraiment changer la donne ?
- kinaassociation
- il y a 13 heures
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Huit mois seulement auront suffi à François Bayrou pour laisser l’empreinte d’un désastre écologique. Entre reculs législatifs, coupes budgétaires et mépris affiché pour la transition, son passage à Matignon apparaît comme l’exemple d’un renoncement systématique aux enjeux environnementaux. Son départ n’efface pas les dégâts, ni le temps perdu. Mais la nomination de Sébastien Lecornu n’annonce pas davantage un sursaut. Celui qui, ministre, qualifiait les activistes écologistes de « délinquants » proches de « l’ultragauche » s’inscrit dans une ligne claire : criminaliser la contestation plutôt que répondre à l’urgence climatique. Figure expérimentée mais perçue comme l’un des fidèles de Macron, Lecornu symbolise moins un tournant qu’une continuité : celle d’un pouvoir qui sacrifie l’écologie au nom de l’austérité et des lobbies productivistes.
Dès lors, une question s’impose : assisterons-nous à une rupture écologique, ou bien à la continuité d’un modèle de compromis budgétaires et de renoncements ? Pour éclairer cette interrogation, il est nécessaire de revenir sur le bilan de Bayrou avant d’analyser les scénarios possibles de la politique écologique sous Lecornu.
François Bayrou, huit mois à Matignon : un désastre écologique organisé
En à peine huit mois, François Bayrou aura réussi ce que peu de gouvernements avaient osé : sabrer systématiquement les avancées écologiques et céder aux pressions des lobbies productivistes. À la veille de la chute quasi certaine de son gouvernement, le bilan est limpide : un désintérêt profond pour la transition écologique et un alignement sur les forces les plus hostiles à l’environnement.

Le Premier ministre des reculs
À peine nommé, Bayrou a affiché ses priorités : déficit et dette. L’écologie, elle, a disparu du discours et encore plus des actes. Le Réseau Action Climat (RAC) dénombre 43 reculs écologiques en un semestre, une cadence inédite.
Loi Duplomb : apothéose d’une politique anti-écologique, facilitant mégabassines et fermes-usines, et tentant de ressusciter les néonicotinoïdes.
Loi d’orientation agricole : dépénalisation des atteintes aux espèces protégées si elles ne sont pas « intentionnelles ».
Loi de Simplification : un cheval de Troie qui piétine l’objectif de zéro artificialisation nette, supprime les ZFE et accélère le nucléaire et les infrastructures destructrices.
Ces textes ont été soutenus par le bloc présidentiel, main dans la main avec la droite et l’extrême droite.
La saignée budgétaire
Au cœur du désastre : le budget. Bayrou a méthodiquement coupé dans les programmes qui soutenaient concrètement la transition.
2,1 milliards d’euros en moins pour la mission Écologie en 2025.
Coup de grâce pour MaPrimeRénov’, les aides aux véhicules électriques, le soutien au bio, aux renouvelables, aux collectivités.
Pour 2026, il n’a prévu qu’une augmentation dérisoire de 600 millions d’euros, quand les experts rappellent qu’il faudrait 30 milliards supplémentaires par an d’ici 2030.
« Ses coupes budgétaires ont supprimé des aides directes aux Français », résume Marine Tondelier. Résultat : des millions de foyers coincés dans des passoires thermiques ou contraints de rouler dans des vieilles voitures polluantes.
Un mépris affiché pour l’écologie
Bayrou n’a pas seulement ignoré l’urgence climatique, il l’a méprisée. La stratégie nationale bas carbone, attendue depuis 2023, n’a jamais été publiée. La programmation pluriannuelle de l’énergie reste aux oubliettes.
Quant aux rencontres avec les ONG, elles ont été rares et superficielles. « Il n’a clairement aucune vision et aucun intérêt pour la transition écologique », tranche Anne Bringault du RAC.
L’avion comme symbole
Rien n’illustre mieux cette indifférence que sa passion pour l’avion. Bayrou a :
Multiplié les déplacements en jet présidentiel, y compris pour des discours… sur les énergies renouvelables.
Encouragé les acteurs économiques de Pau à prendre l’avion « autant que possible » pour aller à Paris.
Pendant ce temps, il a défendu bec et ongles le projet autoroutier A69 entre Toulouse et Castres, malgré son impact dévastateur sur les zones humides et la biodiversité.
Des résultats climatiques catastrophiques
Le résultat est sans appel :
-1,8 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2024.
Seulement -0,8 % prévu en 2025, loin des -5 % par an nécessaires pour respecter les engagements climatiques.
Tout cela alors que la France a vécu son troisième été le plus chaud jamais enregistré, entre incendies et sécheresses.
Une responsabilité historique
En huit mois, François Bayrou a laissé passer un temps précieux. Son passage à Matignon restera dans les mémoires comme celui d’un saccage écologique assumé, mené au profit des lobbies agricoles, routiers et industriels.
La probable chute de son gouvernement pourrait ouvrir la voie à un sursaut. Mais les dégâts sont déjà là. Et le temps perdu, lui, ne se rattrapera pas.
La page Bayrou se tourne, mais la question demeure : assisterons-nous enfin à un véritable changement de cap écologique, ou seulement à une continuité masquée par de nouveaux discours ? Pour tenter d’y répondre, il est nécessaire de revenir sur les actions passées du nouveau Premier ministre. L’examen de son parcours politique, de ses choix budgétaires comme de ses arbitrages face aux enjeux environnementaux, permettra de déterminer si son arrivée à Matignon peut incarner une amélioration réelle, ou s’il faut redouter que les mêmes logiques de renoncements se poursuivent.
Lecornu à Matignon : entre continuité macroniste et défi écologique
Paris, 9 septembre 2025 – Emmanuel Macron nomme Sébastien Lecornu Premier ministre, quelques heures après la démission de François Bayrou. Ce choix, fidèle à l’histoire ministérielle de Lecornu (Écologie, Outre-mer, Collectivités territoriales, Armées), cristallise d’emblée d’importantes tensions politiques et environnementales.

Une carrière politique rapide
Élu maire de Vernon (Eure) en 2014 à 28 ans, président du conseil départemental en 2015, il entre au gouvernement trois ans plus tard. Depuis 2017, il n’a plus quitté les ministères.
L’écologie, terrain familier mais conflictuel
À la Transition écologique, il a géré :
la fermeture de Fessenheim (Haut-Rhin),
le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche),
le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse),
l’avenir agricole de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
Il a aussi accompagné la fermeture des centrales à charbon, signé des contrats de transition écologique, développé les énergies renouvelables (éolien, solaire, biométhane) et piloté les Assises de l’eau (2018).
Son style s’est illustré par sa fermeté face aux militants écologistes : en 2018, il a assumé l’expulsion des activistes de Bure, parlant de « délinquants » affiliés à l’ultragauche. Même logique après Notre-Dame-des-Landes, où il menaçait d’expulsions ceux qui refusaient de se régulariser.
Chargé aussi de la réforme de la chasse, il a réduit le coût du permis et défendu les chasses traditionnelles.
Principales réactions politiques : défiance, scepticisme, condamnations
La gauche radicale et l’extrême gauche (notamment La France insoumise) parlent de « déni de démocratie ». Mathilde Panot évoque une provocation, dénonçant le choix d’un fidèle de Macron à la tête du gouvernement, malgré la défaite du macronisme aux législatives.
Le Parti Socialiste refuse d’entrer dans ce gouvernement. Olivier Faure avertit : sans justice sociale, fiscale et écologique, sans mesures claires sur le pouvoir d’achat, la colère sociale est à prévoir. Il met également en garde contre le recours au 49.3.
Le Rassemblement national, tout en restant sur la réserve, qualifie ce choix de « dernière cartouche » du macronisme. Marine Le Pen prédit que la prochaine étape sera un virage radical — et prépare déjà ses critiques autour des futurs actes du gouvernement.
Les Républicains et certains centristes expriment l’idée d’un plus grand dialogue, voire d’un “contrat de gouvernement”, mais conditionnel : ils attendent des gestes forts ou des compromis concrets.
Enjeux écologiques : nécessite de ruptures ou simple continuité ?
La nomination de Lecornu ravive plusieurs questionnements sur l’orientation environnementale de la politique nationale :
Lecornu a déjà travaillé sur des dossiers délicats : nucléaire (Fessenheim, Flamanville, Cigéo), énergies renouvelables, contrats de transition écologique, etc. Son passé donne à penser qu'il connaît les enjeux techniques.
Mais la gauche, les écologistes, et certaines associations pointent un manque de fermeté, de vision systémique, ou craignent une dilution des ambitions (par exemple sur les ZFE, le ZAN, la rénovation énergétique). Le risque est que lui soit confiée une mission de manageur de crise, plutôt que de porteur de transformations profondes.
Les opposants attendent de voir non pas seulement des annonces, mais des actes concrets : mesures fiscales pour les plus pollueurs, soutien accru aux politiques de réduction carbone, adaptation au changement climatique, protection des terres agricoles, préservation de la biodiversité.
Enjeux budgétaires, institutionnels et de crédibilité
Un des défis majeurs sera de faire passer le budget 2026, dans un contexte où les économies de taille (44 milliards) sont attendues, et où le recours au 49.3 est redouté.
Politique de stabilité : Lecornu doit composer avec une Assemblée fracturée, des majorités de fait instables, et une opinion publique déjà peu favorable. Selon les sondages, il est mal accueilli — beaucoup jugent que ce ne sera pas un changement réel.
Légitimité politique : pour beaucoup, ce choix est symptomatique du macronisme « isolé » – un président qui, malgré un affaiblissement parlementaire, continue de s'entourer de fidèles. Certains considèrent que Macron cherche plus à préserver sa position qu’à ouvrir un nouveau chapitre.
Analyse : Ce que cette nomination révèle
Macron joue la carte de la continuité
En nommant un ministre expérimenté du gouvernement sortant, le président affiche qu’il ne change pas de ligne de fond. Le message : stabilité, maintien des grandes orientations (sécurité, finances, compétitivité), plutôt que rupture écologique ou sociale.
Un pari risqué sur la technocratie dans un contexte de forte défiance
Lecornu est perçu comme compétent, mais le socle institutionnel et politique autour de lui est affaibli. Il doit non seulement gérer les urgences, mais restaurer une crédibilité que beaucoup jugent entamée.
La transition écologique comme champ de bataille politique
Le choix du Premier ministre revient à redéfinir ce que “écologie” veut dire dans l’action gouvernementale : est-ce un moyen de compromis (souvent lâché sous la pression budgétaire), ou un objectif structurant ? Les écologistes sont sur le pied de guerre, impatients de passer de la parole aux lois.
Une échéance présidentielle déjà dans les têtes
En toile de fond, les législatives, les possibles motions de censure, et surtout la présidentielle à venir pèsent sur les décisions. Macron et Lecornu savent qu’ils naviguent à vue avec un horizon électoral. Chaque décision environnementale ou budgétaire sera scrutée comme un signal pour 2027.
Scénarios prospectifs de la politique écologique sous Sébastien Lecornu
1. Scénario optimiste : un Premier ministre stratège de la transition
PPE clarifiée avec un calendrier crédible pour les énergies renouvelables et le nucléaire.
Accélération des rénovations énergétiques et soutien fiscal renforcé pour les ménages modestes.
Relance d’un plan national pour l’eau et la biodiversité, avec des moyens réels pour lutter contre la sécheresse.
Stratégie industrielle verte (véhicules électriques, hydrogène, batteries).
2. Scénario intermédiaire : une écologie de gestion et de compromis
Quelques avancées ciblées (éolien offshore, rénovation des logements publics, primes à la conversion automobile).
Mais aussi des concessions : recul sur les ZFE pour apaiser les territoires, reports de certaines obligations ZAN.
Maintien de la trajectoire nucléaire, mais incertitudes sur la rapidité du déploiement des renouvelables.
3. Scénario pessimiste : l’écologie sacrifiée
Gel ou report de grands investissements dans les transports propres.
Priorité au nucléaire à long terme, mais stagnation immédiate des renouvelables.
Réformes de simplification économique vues comme des reculs écologiques (ZFE, ZAN, normes agricoles).
SOURCES :
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